🧠 Pourquoi Uber et Deliveroo ne partiront jamais de Bruxelles

Le business invisible des donnĂ©es, l’espionnage passif et la guerre de l’information

🔍 Introduction

Officiellement, Uber facilite la mobilité urbaine, Deliveroo vous livre des burgers en 20 minutes. Mais derriÚre cette façade pratique, se cache un marché infiniment plus rentable que les trajets ou les repas : la collecte et la revente de données personnelles.
Et Bruxelles, avec sa concentration unique de dĂ©cideurs politiques, de diplomates, de lobbyistes et de fonctionnaires europĂ©ens, est devenue l’un des gisements de donnĂ©es les plus stratĂ©giques d’Europe.

Les plateformes comme Uber et Deliveroo ne sont donc pas uniquement des outils logistiques. Elles sont aussi des capteurs mobiles — discrets, omniprĂ©sents, et parfaitement lĂ©gaux — dans une guerre mondiale de l’information.


đŸ™ïž Bruxelles : la mine d’or des donnĂ©es comportementales

Bruxelles n’est pas une ville comme les autres :

  • Elle accueille la Commission europĂ©enne, le Parlement europĂ©en, l’OTAN, des dizaines d’ambassades, ONG, think tanks

  • Elle est le carrefour diplomatique de l’Europe, un centre de dĂ©cision politique, militaire et Ă©conomique.

Dans ce contexte, toute plateforme capable de suivre les dĂ©placements, les habitudes, les points de rendez-vous ou les routines d’un dĂ©cideur dispose d’un levier stratĂ©gique majeur. Et ces donnĂ©es sont souvent bien plus rĂ©vĂ©latrices que ce qu’on imagine.


đŸ“Č Uber, Deliveroo : des capteurs dĂ©guisĂ©s en services

Les deux applications collectent en permanence :

  • La position GPS (en temps rĂ©el et historique),
  • Les adresses de livraison, les lieux visitĂ©s,
  • L’appareil utilisĂ©, les horaires de connexion, les modes de paiement,
  • Les interactions comportementales : Ă  quelle heure, dans quel quartier, avec quelle frĂ©quence


Officiellement, ces donnĂ©es servent Ă  amĂ©liorer le service. En rĂ©alitĂ©, elles sont traitĂ©es, corrĂ©lĂ©es, stockĂ©es, croisĂ©es, puis vendues Ă  des tiers — souvent sous forme anonymisĂ©e, mais suffisamment riche pour reconstruire des profils comportementaux trĂšs fins.


💰 Le vrai business : la donnĂ©e, pas la livraison

Les marges sur la livraison de repas sont maigres, voire négatives. En revanche :

  • Le marchĂ© mondial de la donnĂ©e personnelle se chiffre en centaines de milliards.
  • Un profil de consommateur europĂ©en, gĂ©olocalisĂ©, contextualisĂ©, peut valoir plusieurs centaines d’euros.
  • Et un profil de dĂ©cideur politique ou de haut fonctionnaire, mĂȘme indirect, vaut beaucoup plus.

C’est pourquoi ces plateformes acceptent de fonctionner Ă  perte sur leur activitĂ© principale. Ce qui compte vraiment, c’est la monĂ©tisation des comportements humains.


đŸ•”ïž L’espionnage passif par l’entourage : une mĂ©thode bien rĂ©elle

MĂȘme si le tĂ©lĂ©phone d’un haut responsable politique est protĂ©gĂ© (communications chiffrĂ©es, donnĂ©es cloisonnĂ©es), il suffit d’observer son entourage pour deviner ses intentions.

  • Suivre les livraisons de ses assistants,
  • Observer les dĂ©placements de ses collaborateurs ou conseillers,
  • Analyser les lieux de rĂ©union, les pics d’activitĂ©, les changements de rythme


GrĂące Ă  des mĂ©thodes inductives et des algorithmes prĂ©dictifs, il est possible de dĂ©duire les intentions d’un dĂ©cideur, sans jamais toucher Ă  son appareil.

C’est une forme d’espionnage passif, rendue possible par l’exploitation massive de donnĂ©es pĂ©riphĂ©riques.

Exemple :

Des pics de dĂ©placements vers un cabinet juridique spĂ©cialisĂ©, combinĂ©s Ă  une baisse des commandes depuis les institutions europĂ©ennes, peuvent indiquer la prĂ©paration d’un changement de poste ou d’une rĂ©forme majeure.


🧠 Les algorithmes savent plus que les espions

Les techniques utilisées :

  • Analyse inductive : infĂ©rer des intentions Ă  partir de comportements observĂ©s chez l’entourage,
  • Graphe relationnel : cartographier les rĂ©seaux de proximitĂ© autour d’une cible,
  • ModĂšles prĂ©dictifs IA : estimer les Ă©vĂ©nements Ă  venir Ă  partir d’un historique comportemental,
  • Sentiment analysis : dĂ©tection d’émotions dans les publications ou les messages de l’entourage.

Ce n’est plus de la science-fiction. C’est ce que font dĂ©jĂ  les services de renseignement
 souvent sans enfreindre la loi.


đŸ›°ïž Les États sont dans la boucle : le cas de la CIA

Les États-Unis ont depuis longtemps compris la valeur stratĂ©gique des donnĂ©es commerciales.
PlutĂŽt que d’espionner illĂ©galement, ils achĂštent massivement les donnĂ©es disponibles sur le marchĂ© libre.

La CIA s’appuie notamment sur :

  • In‑Q‑Tel, son bras d’investissement technologique, qui finance des sociĂ©tĂ©s comme Palantir, SafeGraph ou Recorded Future,
  • SafeGraph, qui revend des donnĂ©es de localisation Ă  l’armĂ©e et Ă  des agences de renseignement,
  • Anomaly Six, créée par d’anciens agents du renseignement, capable de suivre des milliards d’appareils via des SDK intĂ©grĂ©s Ă  des apps banales (jeux, shopping, mĂ©tĂ©o
).

Ces donnĂ©es sont ensuite corrĂ©lĂ©es Ă  des profils cibles, sans piratage, sans mandat, et souvent sans mĂȘme que la cible ait donnĂ© son consentement directement.


⚖ Que fait l’Europe ?

Des sanctions tombent parfois :

  • Deliveroo a Ă©tĂ© condamnĂ© en Italie Ă  2,9 M€ pour traitement illĂ©gal de donnĂ©es.
  • Uber a Ă©copĂ© de 290 M€ d’amende aux Pays-Bas pour transferts de donnĂ©es hors-UE.
  • En Belgique, plusieurs courtiers de donnĂ©es ont Ă©tĂ© mis en cause pour absence de base lĂ©gale claire.

Mais les régulateurs peinent à suivre un modÚle économique fondé sur la donnée, dissimulé derriÚre une prestation de service.
Et aucune régulation actuelle ne couvre les recoupements statistiques réalisés par des acteurs étatiques tiers comme la CIA.


🎯 Conclusion

Bruxelles est aujourd’hui l’un des points chauds de la guerre mondiale de l’information passive.
Ce n’est pas seulement une ville de pouvoir, c’est un rĂ©seau de signaux faibles comportementaux, captĂ©s en silence par des plateformes comme Uber ou Deliveroo.

Tant que ces plateformes serviront à nourrir des modÚles prédictifs, à cartographier les réseaux politiques, ou à anticiper les décisions stratégiques, elles ne partiront pas de Bruxelles.
Elles y resteront.
Peut-ĂȘtre pas pour livrer vos pizzas, mais pour livrer vos donnĂ©es.


📚 Sources principales :

  • Wall Street Journal – U.S. spy agencies buy your secrets
  • netzpolitik.org – Data Broker Files
  • Wired – How SafeGraph sells data to the US military
  • CNIL – DĂ©cisions Uber et Deliveroo
  • WikipĂ©dia – Anomaly Six, In-Q-Tel, Data broker, Crypto AG

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