Loi Colis : Deliveroo et Uber Eats défient la Belgique – Bruxelles en première ligne

À Bruxelles, la bataille pour la reconnaissance des livreurs s’intensifie.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi colis, la Belgique tente de remettre de l’ordre dans la jungle du “dernier kilomètre”.
Mais dans les rues de Bruxelles, les grandes plateformes comme Deliveroo et Uber Eats continuent d’opérer comme si de rien n’était.
Leur refus de se conformer à la nouvelle législation place la capitale au cœur d’un affrontement social et juridique aux répercussions nationales.


Une loi pour réguler le chaos du “dernier kilomètre”

Adoptée pour protéger les travailleurs du secteur de la livraison, la loi colis impose depuis 2023 une série d’obligations à tous les acteurs de la chaîne logistique :

  • Enregistrement obligatoire des opérateurs auprès de Mon BELparcel (IBPT).
  • Responsabilité accrue des donneurs d’ordre envers leurs sous-traitants.
  • Nomination d’un coordinateur social chargé de vérifier le respect du droit du travail.
  • Rémunération minimale garantie pour les livreurs affiliés à des sous-traitants.

Sur le papier, c’est une avancée majeure pour lutter contre le dumping social et la précarité.
Dans les faits, les plateformes internationales jouent la montre.


Deliveroo et Uber Eats : la résistance organisée

À Bruxelles, Deliveroo et Uber Eats continuent d’utiliser le statut d’“indépendant” pour leurs coursiers.
Une stratégie qui leur permet de contourner la plupart des obligations de la loi colis.
Selon plusieurs sources syndicales et juridiques, ces plateformes ne se sont pas enregistrées comme opérateurs logistiques au sens de la loi — en invoquant leur statut de “simple intermédiaire technologique”.

« Les livreurs opèrent encore aujourd’hui dans une zone grise entre salariat et faux-indépendance ; depuis 2023, ils sont présumés salariés, mais les plateformes ne l’appliquent pas. »
Martin Willems, représentant ACV-CSC (Maison des livreurs / actions à Bruxelles, 1er mai 2024).

De plus, un article du journal L’Écho l’a confirmé début octobre : malgré plusieurs rappels à l’ordre, Deliveroo et Uber Eats refusent toujours d’appliquer les dispositions de la loi colis, préférant attendre les décisions des tribunaux avant de se mettre en conformité.


Les juges bruxellois penchent du côté des livreurs

Bruxelles est aussi devenue le théâtre d’une série de jugements pionniers.
En 2023, la Cour du travail de Bruxelles a estimé que les livreurs Deliveroo devaient être considérés comme salariés et non comme indépendants.
Plus récemment, la Commission des relations de travail (CRT) a rendu trois décisions similaires à propos de cas Uber Eats : là encore, la relation de travail est jugée “non indépendante”.

Ces décisions s’appuient sur des critères précis :

  • Les livreurs ne fixent pas librement leurs prix.
  • Les plateformes exercent un contrôle permanent via l’algorithme.
  • Les sanctions, suspensions ou désactivations sont décidées unilatéralement.

“Quand ton application décide si tu manges ou non à la fin du mois, ce n’est plus de l’indépendance, c’est de la subordination numérique”,
commente Rachid, livreur à Anderlecht.


Le contraste bruxellois : entre précarité et vitrines lumineuses

À Bruxelles, on compte environ 5 000 à 6 000 livreurs actifs, dont la majorité travaille pour Uber Eats et Deliveroo.
Ils sillonnent la ville du matin au soir, souvent sans couverture sociale, ni assurance en cas d’accident.
Pendant ce temps, les restaurants partenaires, eux, continuent de bénéficier du flux constant de commandes, sans se soucier des implications sociales du modèle.

“Je gagne environ 3 à 4 euros par course, parfois moins.
Quand il pleut, personne ne compense. Quand je tombe malade, je ne touche rien”,
raconte Mateus, livreur portugais basé à Saint-Gilles.
“La loi colis ? On n’a rien vu venir. Les applis continuent comme avant.”


Les pouvoirs publics entre prudence et impuissance

Du côté de l’État belge, le ton reste ferme, mais la mise en œuvre peine à suivre.
Les inspections sociales sont limitées, les amendes rares et les procédures souvent longues.
Le ministre fédéral de l’Emploi a promis un renforcement des contrôles, mais à Bruxelles, les livreurs restent sceptiques.

« Tant qu’il n’y aura pas de sanctions exemplaires, les plateformes continueront à ignorer la loi », déplore David Clarinval, ministre fédéral de l’Emploi, de l’Économie et de l’Agriculture — qui a annoncé la création d’une taskforce e-commerce.

Les syndicats demandent désormais que les plateformes soient lourdement sanctionnées en cas de non-respect manifeste de la législation — une mesure encore inédite, mais soutenue par plusieurs députés bruxellois.


Un symbole européen

Le cas bruxellois dépasse les frontières.
La Commission européenne prépare une directive sur le travail des plateformes, qui pourrait forcer les États membres à requalifier jusqu’à 5 millions de travailleurs dans l’Union.
Si la Belgique fait figure de pionnière avec sa loi colis, son incapacité à la faire respecter pourrait en revanche affaiblir sa crédibilité face aux entreprises contrevenantes…
à quelques kilomètres seulement du Parlement européen.


Conclusion : la bataille du bitume continue

Sur les trottoirs de Bruxelles, la loi colis reste un texte plus qu’une réalité.
Les plateformes continuent à livrer sans se soucier du cadre légal, pendant que les livreurs roulent sous la pluie pour quelques euros.
Mais le vent pourrait tourner : chaque nouvelle décision de justice renforce l’idée que le salariat est la voie logique.
Et si la loi ne s’applique pas encore dans les faits, elle trace déjà le chemin d’une reconnaissance sociale inévitable.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *