Ces dernières années, Bruxelles – comme beaucoup d’autres grandes villes européennes – a vu fleurir de nouvelles zones piétonnes, des rues apaisées et un maillage toujours plus dense de pistes cyclables. Pour les automobilistes, c’est souvent perçu comme une contrainte. Mais pour les livreurs, qu’ils roulent à vélo, en scooter ou à moto, ces aménagements transforment profondément le quotidien.
Pour les coursiers à vélo, c’est presque un âge d’or. Les pistes cyclables séparées réduisent les risques d’accident et fluidifient les trajets. L’accès direct aux zones piétonnes leur permet souvent d’aller déposer une commande devant la porte du client, là où un scooter ou une voiture doit contourner. Résultat : des trajets plus courts, moins de stress et parfois quelques minutes gagnées sur chaque livraison. L’envers du décor existe toutefois : la multiplication des cyclistes, trottinettes et piétons dans les mêmes espaces crée aussi de nouveaux risques de collision, surtout aux heures de pointe.
Pour les livreurs motorisés, la donne est différente. Beaucoup de zones piétonnes deviennent des détours obligatoires qui rallongent les trajets, et les contrôles de police se multiplient pour sanctionner ceux qui tentent d’y passer malgré l’interdiction. Les pistes cyclables, bien sûr, leur sont interdites, ce qui peut générer de la frustration quand la voie “rapide” est juste à côté. Dans la pratique, cela signifie plus de kilomètres par jour, davantage de carburant dépensé et parfois moins de livraisons dans le même laps de temps. À cela s’ajoute la difficulté croissante de trouver un stationnement à proximité des restaurants et des clients, une perte de temps invisible mais bien réelle.

Derrière ces changements se cache une réalité économique. Un livreur à vélo peut enchaîner les courses plus rapidement dans le centre piétonnier, alors qu’un livreur en scooter perd en rentabilité à cause des détours et des bouchons. Les plateformes, elles, ne prennent pas encore suffisamment en compte ces réalités dans leurs algorithmes, ce qui crée un décalage entre les conditions réelles de travail et les tarifs proposés.
La tendance ne va pas s’inverser. Bruxelles, comme Paris, Amsterdam ou Barcelone, veut réduire le trafic motorisé au profit de la mobilité douce. Pour les livreurs, cela pose une question stratégique : faut-il basculer vers le vélo, classique ou électrique, quitte à changer totalement son mode de travail ? Ou bien rester en scooter, avec plus de coûts et de contraintes, mais aussi davantage de confort et de puissance pour les longues distances ?
Une chose est sûre : les zones piétonnes et les pistes cyclables redessinent la carte de la livraison urbaine. Elles profitent clairement aux cyclistes mais forcent les livreurs motorisés à repenser leur organisation. À terme, cela pourrait même influencer les choix des plateformes, qui pourraient privilégier les profils à vélo dans les centres-villes. Dans ce bras de fer silencieux entre urbanisme et rentabilité, les livreurs se retrouvent en première ligne.