Depuis quelque temps, une remarque revient avec une régularité étonnante, parfois même formulée par des femmes elles-mêmes : on ne les aborde plus. Plus de regards insistants, plus de tentatives maladroites mais sincères, plus de ces petits gestes qui, autrefois, faisaient partie du décor social ordinaire. Comme si la séduction masculine avait discrètement disparu du paysage.
Pour beaucoup d’hommes, ce constat est presque surprenant. Ils n’ont pas l’impression d’avoir « abandonné » quoi que ce soit. Et pourtant, quelque chose s’est bel et bien grippé. Non pas le désir, mais l’élan.

Une première explication, souvent évoquée mais rarement approfondie, concerne l’évolution biologique et environnementale des sociétés occidentales. Depuis plusieurs années, les études montrent une baisse progressive de la testostérone moyenne chez les hommes. Cela ne signifie pas une disparition de la virilité ou du désir sexuel, mais une modification plus subtile de l’énergie disponible. La séduction repose sur l’initiative, sur une prise de risque minimale, sur cette impulsion qui pousse à sortir de sa zone de confort. Lorsque cette impulsion s’affaiblit, ce n’est pas l’envie qui disparaît, mais la capacité à passer à l’acte sans trop réfléchir.
À ce terrain déjà fragilisé est venue s’ajouter une rupture brutale : le COVID. Pendant plusieurs années, la société a fonctionné sur un principe simple et répété en boucle : rester à distance. Les lieux de rencontre ont fermé, les interactions informelles ont disparu, et le contact humain est devenu suspect. Beaucoup d’hommes ont alors désappris, presque malgré eux, les codes élémentaires de l’approche sociale. Ce qui semblait naturel auparavant est devenu lourd, intrusif, voire inutile. Lorsque les restrictions ont pris fin, l’habitude de ne plus tenter est restée.

Mais le facteur le plus structurant, et sans doute le plus délicat à aborder, reste le changement profond du climat social autour de la séduction. Les mouvements #MeToo et « Balance ton porc » ont répondu à une nécessité évidente : dénoncer des comportements inacceptables. Le problème est que, dans leur sillage, un message plus diffus s’est installé dans l’esprit de nombreux hommes. Celui d’un terrain devenu miné, où l’erreur d’interprétation peut avoir des conséquences sociales disproportionnées. Dans ce contexte, ne rien tenter apparaît moins comme une lâcheté que comme une stratégie rationnelle. L’absence d’initiative devient une forme d’auto-protection.
Ce retrait est encore renforcé par l’omniprésence des applications de rencontre. Pour beaucoup d’hommes, ces plateformes ont concentré la séduction dans un espace numérique où les règles sont impitoyables. Après des dizaines de tentatives sans réponse, le sentiment d’invisibilité s’installe. Peu à peu, certains finissent par intérioriser l’idée qu’ils n’ont pas leur place dans le jeu. Et ce découragement ne reste pas cantonné aux écrans : il déborde dans la vie réelle, où l’initiative semble désormais inutile.
À tout cela s’ajoute une réalité plus diffuse mais très concrète : la fatigue générale. Entre pression professionnelle, instabilité économique, charge mentale et rythme urbain, beaucoup d’hommes entre 25 et 45 ans n’ont plus l’énergie de transformer la séduction en un effort supplémentaire. Là où elle était autrefois un jeu, elle est devenue une tâche à haut risque pour un bénéfice incertain.
Le paradoxe est que, dans ce paysage, certaines femmes commencent à exprimer un malaise inattendu. Non pas un désir de retour aux lourdeurs d’autrefois, mais le sentiment d’un silence devenu pesant. Car l’absence totale d’initiative, aussi respectueuse soit-elle, peut finir par ressembler à une forme d’indifférence. La disparition du désir exprimé laisse un vide que personne n’avait vraiment anticipé.

Les anciens codes de la séduction, imparfaits mais lisibles, ont été déconstruits. Le problème n’est pas tant leur disparition que l’absence de règles nouvelles clairement partagées. Chacun avance désormais avec prudence, attendant un signal qui ne vient pas. Les hommes se taisent pour ne pas déranger, les femmes attendent pour ne pas avoir à initier. Et la rencontre, au milieu, se fait rare.
Dire que les hommes ont abandonné serait donc une erreur. Ils se sont plutôt retirés, lentement, sans bruit, souvent sans l’avoir décidé consciemment. Par fatigue, par prudence, par manque de repères. La séduction n’a pas disparu, mais elle traverse une crise de forme, symptomatique d’une société qui a changé plus vite que ses codes relationnels.
Reste à savoir si une nouvelle manière de se rencontrer émergera. Probablement plus discrète, plus équilibrée, plus réciproque. Moins spectaculaire, mais peut-être plus honnête. Ce n’est pas forcément la fin de la séduction. C’est peut-être simplement la fin d’une époque.